Politique
C’était Jean-Marie Le Pen, le « diable de la République »
Le Menhir n’est plus. Ce 7 janvier 2025, Jean-Marie Le Pen, fondateur et chef de file historique du Front national, est décédé à l’âge de 96 ans.
Avec ce décès, une page de l’histoire politique de ces cinquante dernières années se tourne donc.
Jean-Marie Le Pen était né en 1928, fils d’un patron pêcheur de La Trinité-sur-Mer (Morbihan). Orphelin jeune, il quitte sa Bretagne natale au sortir de la Seconde guerre mondiale et gagne Paris pour y faire des études de droit. Il est notamment président de la « Corpo », principal syndicat étudiant de droit, ou il marque déjà les esprits par ses talents oratoires. Durant la guerre d’Indochine, il sert comme officier au 1er REP, de la Légion étrangère. Il est élu député de Paris en 1956, à seulement 27 ans, sous les couleurs du mouvement antifiscaliste de droite de Pierre Poujade. Bien que parlementaire, Jean-Marie Le Pen se porte volontaire pour retourner servir avec son régiment en Algérie. Il participe à l’assaut français sur le canal de Suez. Militant ouvertement pour l’Algérie française, Jean-Marie Le Pen, sous les drapeaux, est absent lors du vote des pleins pouvoirs au Général De Gaulle en 1958, au paroxysme de la crise algérienne. Le jeune député vit l’abandon de l’Algérie par De Gaulle comme une trahison qu’il ne pardonnera jamais à l’homme du 18-Juin. Refusant d’intégrer, comme certains de ces camarades, l’OAS et la lutte armée, ou même de participer au putsch des généraux en 1962, Jean-Marie Le Pen est convaincu que son combat est politique d’abord et avant tout. Cette idée ne le quittera plus jamais.
Fondateur du Front national
Devenu un farouche opposant au général De Gaulle, Jean-Marie Le Pen cherche à unifier tous les mouvements de droite et nationalistes opposés aux gaullistes, aux socialistes, et aux communistes. Cela se fera en 1972, lorsque Jean-Marie Le Pen, aux côtés d’anciens du combat pour l’Algérie française et de divers militants nationalistes, fonde le Front national pour l’unité française, qui sera plus connu par la suite sous le nom, emprunté à un mouvement de résistance communiste, de Front national.
Entre temps, en 1965, Jean-Marie Le Pen se sera aguerri aux campagnes électorales en dirigeant la campagne présidentielle de l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancourt.
Le Front national se veut d’abord et avant tout un mouvement populaire, pour tailler des croupières aux deux partis de masse de l’époque, les gaullistes et surtout le puissant parti communiste. Jean-Marie Le Pen s’inspire donc du PCF jusque dans son organisation interne : Comité central, bureau politique ; l’organisation interne du « Front » est calquée sur l’ennemi bolchévique. Naturellement, Jean-Marie Le Pen prend la direction du mouvement. Il se présente pour la première fois à l’élection présidentielle de 1974, ou il obtient un score modeste, et aurait joué un rôle discret mais réel dans la victoire du centriste Valéry Giscard d’Estaing face au socialiste François Mitterrand. En 1981, il ne peut cependant pas concourir au scrutin, qui voit la revanche de François Mitterrand face au président sortant.
Le Front national, jusque là très modeste, voire inexistant dans le paysage politique français, connaît un premier succès, lors des élections municipales partielles de Dreux (Eure-et-Loir) en 1983, qui voit une liste RPR-UDF-FN l’emporter sur la gauche. Cette élection propulse le Front national sur le devant de la scène, et Jean-Marie Le Pen au premier plan.
Tribun décomplexé
François Mitterrand, en vieux renard, comprend l’atout qu’il peut tirer de l’irruption sur la scène politique d’un mouvement déjà diabolisé et déjà qualifié « d’extrême droite ». Souhaitant diviser la droite pour mieux l’affaiblir, Mitterrand fera tout pour faire « monter » Le Pen, afin de nuire à Chirac. Sur la discrète pression du Président socialiste, Jean-Marie Le Pen est ainsi invité dans une émission télévisée très populaire « L’Heure de Vérité », sur Antenne 2, en février 1984. Durant plus d’une heure, le président du Front national décline ses thématiques : immigration, anticommunisme, paix fiscale, etc. Les effets s’en ressentent : après la dissolution de 1986, l’instauration du scrutin proportionnel aux législatives anticipées qui suivent permettent l’entrée en force de députés Front national à l’Assemblée, Jean-Marie Le Pen en tête.
En 1988, candidat à l’élection présidentielle, il obtient 14 % des voix, un meilleur score qu’annoncé. Malgré des tentatives de rapprochement avec le RPR, les relations de Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac sont exécrables, en raison du sectarisme de la droite, et des sorties douteuses – notamment l’affaire dite du « point de détail » - de Jean-Marie Le Pen.
Celui-ci multiplie durant le dernier septennat de François Mitterrand les attaques contre la gauche « folle » et la droite « molle », et, sur fond d’augmentation de l’immigration, continue de capitaliser électoralement, récupérant des électeurs déçus par le RPR chiraquien, et d’anciens communistes laissés pour compte par une désindustrialisation qui commence petit à petit à faire des ravages.
Bien que maintenant dans les radars de la gauche médiatique qui ne l’ignore plus, Jean-Marie Le Pen se présente à l’élection présidentielle de 1995, qui voit la victoire de sa Némésis, Jacques Chirac. Lors des élections municipales qui suivent, en juin 1995, le Front national remporte plusieurs mairies : Toulon, Orange, et Marignane.
Cependant, l’ascension lepeniste est freinée en 1998 avec la scission mégrétiste. Un conflit larvé fini par éclater entre Jean-Marie Le Pen et l’un de ses lieutenants, Bruno Mégret, aboutissant à l’exclusion de ce dernier du Front national.
Quoique affaibli par la perte de nombreux cadres, qui ont suivi Bruno Mégret pour fonder le Mouvement national républicain, le Front national et Jean-Marie Le Pen se préparent à prendre leur revanche sur Jacques Chirac à l’occasion de l’élection présidentielle de 2002.
Le « coup de tonnerre » du 21 avril
Le 21 avril 2002 au soir, 20h, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle s’affichent. Stupeur, et ce dans toutes les écuries politiques, même – et surtout – dans celle du premier concerné : Jean-Marie Le Pen, avec un score de presque 17 % des voix, est qualifié, à la surprise générale, au second tour du scrutin face au président sortant, Jacques Chirac.
S’ensuit deux semaines d’opposition massive au « diable de la République », avec des manifestations monstres dans tout le pays. Tous les partis se rangent derrière Jacques Chirac, avec pour mot d’ordre : « Front républicain contre le Front national ».
En définitive, au soir du second tour, Jean-Marie Le Pen s’incline largement devant Jacques Chirac.
Pourtant, à la suite de cette écrasante défaite, un tournant dans l’opinion a eu lieu : désormais, il faudra compter avec la droite nationale dans la vie politique française. A tel point que deux éléments viendront corroborer ce fait indiscutable. Tout d’abord, l’émergence d’une jeune femme au soir de cette élection perdue : Marine Le Pen, l’une des fille de Jean-Marie, et sa proche conseillère, qui va, à partir de là, entamer une carrière politique fulgurante. Mais surtout que les thèmes civilisationnels et migratoires portés presque de façon solitaire par Jean-Marie Le Pen, vont commencer à infuser dans une partie de la droite parlementaire.
Transmettre la flamme
L’élection présidentielle de 2007 est un échec pour Jean-Marie Le Pen. Et pour cause : le jeune ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, lui « siphonne » son électorat. Le candidat soutenu par l’UMP lance une campagne axée sur les thèmes du Front national : immigration, islamisation, identité. Et cela fonctionne : Jean-Marie Le Pen ne passe pas le premier tour, et appelle, lors de son rassemblement traditionnel du 1er-Mai, à voter blanc au second, refusant de départager Nicolas Sarkozy de la candidate socialiste Ségolène Royal.
Mais les électeurs de celui qu’on appelle « Le Vieux » vont vite déchanter. Sitôt élu, Nicolas Sarkozy s’empresse de jeter son étendard droitier au vent et de faire l’ouverture à gauche : adieu le Karcher, bienvenue Kouchner !
Jean-Marie Le Pen comprend alors qu’il est temps de passer le flambeau. Sa fille Marine Le Pen, appuyée par une nouvelle génération de jeunes élus frontistes comme Louis Aliot ou Steeve Briois, décide de briguer la présidence du parti au congrès de Tours de janvier 2011, face à la vieille garde emmenée par un lieutenant historique du « Menhir », Bruno Gollnisch. Discrètement appuyée par son père, Marine Le Pen l’emporte largement et est élu présidente du Front national. Dans son discours d’intronisation à la tête du « Front », celle que les militants appellent déjà familièrement « Marine » rend un hommage vibrant à son père et prédécesseur, se jurant de continuer son œuvre.
Les dernières années
Pourtant, quelques années plus tard, en 2015, les tensions se sont accrues entre Jean-Marie Le Pen et sa fille. En cause, une réitération par Jean-Marie Le Pen de déclarations douteuses sur la Seconde guerre mondiale. Marine Le Pen finit par commettre ce qui semblait impensable : Jean-Marie Le Pen est, en août de cette année-là, exclu de la formation politique qu’il avait fondée et dont il était président d’honneur. Malgré la défense de Marion Maréchal, sa petite-fille, qu’il avait propulsé dans la vie politique, puisque la jeune femme a été élue à 22 ans députée de Vaucluse – et plus jeune parlementaire de l’histoire de la République – Jean-Marie Le Pen est désormais sans parti.
Qu’importe, le « Vieux » se lance dans la rédaction de ses mémoires, en deux tomes : « Fils de la Nation » et « Tribun du Peuple », ou il s’attache à construire sa légende. Avec le temps, le vieil homme s’éloigne des plateaux de télévision, et devient peu à peu, pour une jeune génération, le « Parrain » de la droite, à mi-chemin entre le vieux sage et l’icône punk lâchant ses « punchlines ».
Avec ce décès, c’est non seulement une partie de l’histoire de la Ve République, mais aussi une partie de l’histoire de France tout court qui s’en va.
Car, au fond, Jean-Marie Le Pen a incarné une certaine France, mi-corsaire, mi-gentilhomme, avec ses excès, mais aussi son élégance, et même parfois son panache.
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