Société
Un couple accusé d’avoir planifié le « sacrifice » de leur fils dans le désert du Sahara et l’écho troublant de la tragédie de la « petite martyre de l’A10 »

Deux enfances sacrifiées et une justice qui sauve ou qui se tait. L’affaire des Girondins, soupçonnés d’avoir voulu sacrifier leur fils dans le désert du Sahara, contraste violemment avec celle d’Inass, la « petite inconnue de l’A10 », dont le martyre a été découvert 31 ans après les faits. Si dans un cas, l’intervention rapide a sauvé un enfant, dans l’autre, l’omerta a permis à un crime de rester impuni pendant près de trois décennies. Ces deux récits, séparés par le temps, mais unis par la douleur, interrogent notre capacité collective à protéger les plus fragiles et invitent à une réflexion : que faire lorsque le danger pour les enfants vient de ceux censés les protéger ?
Les Girondins : un sacrifice évité à temps
Décembre 2023. Florian Luna et Marie Lahalle, un couple de professeurs de musique, sont arrêtés par la Guardia Civil à Algésiras, en Espagne. Ils voyagent avec leur fils de cinq ans et semblent pressés de rejoindre le Maroc. Pour les autorités, il ne s’agit pas d’une simple excursion familiale. Ils soupçonnent un projet funeste : sacrifier leur enfant dans le Sahara, convaincus qu’il est possédé. Ce n’est qu’une alerte lancée par une connaissance, effrayée par les propos délirants du père, qui permettra aux autorités d’intervenir. La Guardia Civil intercepte le couple sur un ferry, en route vers leur destination.
Le décor de cette tragédie avortée est celui d’un village paisible : Carcans, dans le Médoc, où le couple dirigeait une école de musique. Mais derrière la façade lumineuse, des ombres s’agitent. Selon les autorités, les parents auraient nourri des idées mystico-religieuses sur la résurrection de leur fils. Florian Luna aurait en effet affirmé vouloir réitérer un miracle biblique : « aller dans le désert et sacrifier leur fils le jour de Noël pour qu'il ressuscite comme Jésus », comme le rapporte le magistrat, ce mardi 14 janvier, à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux où comparait le père de famille. Un passé psychiatrique troublant, notamment une hospitalisation du père après une décompensation psychotique, vient appuyer ces soupçons. Ce dernier avait récemment traversé une crise, attribuée à la consommation de champignons hallucinogènes, et exprimé des croyances sur la résurrection et une mission divine.
Devant la justice, le père clame son innocence : « Jamais je n’ai parlé de sacrifice. Je suis innocent. J’aime mon fils. Le voyage dans le Sahara était un rêve depuis tout petit », affirme-t-il. Pourtant, des écoutes téléphoniques compromettantes révèlent une tentative de minimiser les faits : « Il faut mentir à la juge, présenter les choses de manière moins inquiétante », aurait-il dit à sa femme, ne sachant pas qu’il était sur écoute et ajoutant qu’une fois libérés, ils quitteraient la France pour poursuivre leur voyage. Ces éléments, combinés aux soupçons, justifient selon le parquet la prolongation de sa détention provisoire. La décision sur sa remise en liberté est attendue le 21 janvier. Toujours est-il que l’histoire s’arrête là : l’intervention rapide des forces de l’ordre empêche le pire, et le couple fait face à une justice vigilante.
La petite inconnue de l’A10 : trois décennies de silence
Dans un contraste saisissant, l’affaire de la petite Inass, dite « la fillette de l’A10 », révèle un cas où l’absence de prudence a permis à un drame familial de rester enfoui pendant plus de trente ans. Le 10 août 1987, dans un appartement modeste de Puteaux, Ahmed T., père de famille, trouve sa fille de quatre ans, inerte sur un canapé. Sa femme, Halima, évoque une chute dans les escaliers. Mais les deux grandes sœurs d’Inass, âgées de 6 et 8 ans, murmurent une autre vérité : « Maman l’a poussée. ».
Ahmed, d’abord en route pour le commissariat, rebrousse chemin, paralysé par la peur. La peur de perdre ses enfants, la peur de cette femme qu’il décrit comme imprévisible, presque possédée. Ce choix scelle des décennies de silence. Le père de famille aurait dû être chez lui, à boucler ses valises pour emmener sa famille au Maroc. Le départ, prévu quelques heures plus tard, s’annonçait long et harassant. Mais ce soir-là, c’est vers le commissariat qu’il marche, habité par le fardeau.
Plus tard dans la nuit, le couple transporte le corps de l’enfant dans une Citroën BX jusqu’à un fossé au bord de l’autoroute A10, à Suèvres, dans le Loir-et-Cher. Enroulée dans une couverture, la petite victime est abandonnée. L’enfant gît, vêtue d’une culotte, d’un maillot de corps et d’une robe de chambre imprégnés de sang. « La petite sœur pas très bavarde » disparaît à jamais. L’autopsie révèlera des traces de brûlures, de morsures, et de violences répétées. Elle est enterrée sous X, tandis que le mystère de son identité persiste.
Une vie de souffrances et de non-dits
L’histoire d’Inass commence pourtant loin de ce fossé anonyme. Née le 3 juillet 1983 à Casablanca, au Maroc, elle est élevée pendant un an et demi par ses grands-parents avant de rejoindre ses parents en France. Halima, sa mère, ancienne institutrice, décrit une vie marquée par des frustrations : l’abandon de son métier, le mal-être dans son pays d’accueil, et des tensions conjugales. Entre 1984 et 1987, le couple a encore trois garçons, portant leur progéniture à sept enfants. Mais Inass devient la cible d’une violence particulière.
Les parents, aujourd’hui en attente de procès, s’accusent mutuellement. Le père, Ahmed, admet avoir été témoin de maltraitances – coups, brûlures par un fer à repasser – mais affirme n’avoir rien dit « par peur » de sa femme. La mère, quant à elle, reconnaît les coups, mais minimise leur gravité. Elle dénonce également des violences conjugales répétées, mais Ahmed réfute, parlant de manipulations et de « magie noire » imputées à sa belle-famille.
« Quand je la tape, je deviens une autre personne », confie Halima, tentant d’expliquer l’inexplicable.
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Un secret de famille révélé par l’ADN
Pendant trente-et-un ans, Inass reste une enfant sans nom, une « petite inconnue ». Ce n’est qu’en 2018, grâce à un prélèvement ADN effectué dans une affaire distincte, que le mystère de l’A10 refait surface. L’analyse relie un jeune homme impliqué dans une affaire de violence à la petite victime de 1987. Ce jeune homme s’avère être l’un des fils d’Ahmed et Halima, frère d’Inass. Les parents sont arrêtés et mis en examen pour « meurtre et violences habituelles sur mineur de 15 ans, recel de cadavre », avant d’être écroués. Aux gendarmes, Ahmed qui vit alors chez l’une de ses filles, déclare :
« Cela fait 31 ans que j’attends votre venue. ».
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Justice préventive contre justice posthume
Si les Girondins n’avaient pas été arrêtés à Algésiras, auraient-ils emmené leur fils vers une fin tragique, avant de retourner à une vie ordinaire, comme Ahmed et Halima après l’été 1987 ? La réponse soulève des questions troublantes sur la capacité de la société à intervenir à temps.
Les deux affaires montrent à quel point la temporalité de l’intervention judiciaire peut modifier le destin des victimes. Dans le cas des Girondins, une alerte précoce a permis de sauver un enfant d’un destin tragique, même si la vérité sur les intentions parentales reste à établir. Mais pour Inass, c’est le silence – celui de son père, celui de la société – qui a enterré la vérité. Il a fallu 31 ans pour que le monde connaisse son nom, mais il est trop tard pour lui rendre justice.
Les traces évidentes de maltraitances auraient pu, dès les années 1980, alerter les autorités si un signalement avait été fait. Le silence familial et l’absence de vigilance sociale ont permis à une tragédie de sombrer dans l’oubli, jusqu’à ce qu’un test ADN réveille les consciences. Si les Girondins n’avaient pas été arrêtés à temps, leur fils aurait pu devenir une autre victime d’un déni collectif. Ces récits montrent que la protection des enfants passe par une vigilance constante.
Deux drames d'enfance et de famille en miroir
Les récits de Florian Luna, qui demande sa libération, et d’Ahmed T., qui a attendu trois décennies que la justice frappe à sa porte, s’entrelacent dans une dualité saisissante. Dans l’un, l’intervention de la société a peut-être sauvé une vie. Dans l’autre, l’inaction a condamné une enfant et marqué à jamais une famille. Que ce soit à travers des proches attentifs ou des institutions réactives, chaque signal peut sauver une vie.
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