Société
Affaire Bétharram : scandale d’État, omerta et manœuvres politiques

Derrière les murs de cette institution, des centaines d’élèves ont été victimes de violences physiques et sexuelles, perpétrées dans un silence absolu. Pendant plus de cinquante ans, des prêtres et des éducateurs ont abusé de leur autorité, pour imposer un règne d’impunité qui n’a pris fin qu’avec la libération de la parole des victimes.
Les faits sont accablants. Selon les informations rapportées par le Ministère de l'Éducation nationale, 112 plaintes ont été déposées, couvrant une période allant des années 1960 aux années 2010. L’Église, longtemps maîtresse du destin de ces enfants, a protégé les coupables en les déplaçant d’un poste à l’autre, et en écrasant toute tentative de dénonciation. Pourtant, au-delà du scandale institutionnel, l’affaire prend aujourd’hui une dimension politique explosive. Ce n’est plus seulement l’Église qui est en cause, mais également l’État, les gouvernements successifs et l’ensemble de la classe politique.
Les premières accusations (1950-1990)
Fondé en 1837, le collège-lycée Notre-Dame de Bétharram jouissait d'une réputation prestigieuse dans les Pyrénées-Atlantiques. Cependant, derrière cette façade respectable, des allégations d'abus sexuels et de violences physiques ont émergé. L'école était redoutée bien au-delà de la région et sa notoriété de discipline implacable et de méthodes sévères marquait les esprits, de Bordeaux à Paris.
Dès les années 1950, des rumeurs circulent concernant des comportements inappropriés de certains membres du clergé envers les élèves. Malgré des témoignages isolés, aucune enquête approfondie n'est menée à l'époque, et l'omerta semble régner.
Jean-Marie Delbos, 78 ans, a été l'une des premières victimes reconnues au sein de l'établissement. Ancien pensionnaire de Bétharram entre 1957 et 1961, il se souvient :
« J'ai connu la hantise des nuits, le surveillant qui vient avec une lampe pour vous emmener, pour vous violer. Accroupi au pied du lit pour nous faire des attouchements, des fellations. J'étais terrorisé, incapable de la moindre réaction. J'avais quinze ans. »
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Il poursuit : « On était 7 ou 8 jeunes à se dire que ce n'était quand même pas normal ce que nous faisait vivre le père Lamasse. Mon directeur de conscience est le seul à nous avoir soutenus, il a fini sa carrière comme surveillant du musée de Bétharram. Au sous-sol, avec une table et une chaise. Il a été éloigné de tout ».
« On avait été menacés par des prêtres de Bétharram en nous disant que si cette affaire avait des suites, on nous saisirait tous nos biens. »
« Lorsque j'ai parlé de ce que je vivais, à l'époque, on m'a envoyé à l'hôpital militaire psychiatrique de Pau pendant deux longues semaines. »
Affaire de 1996 : violences physiques
En 1996, un parent d’élève saisit la justice après que son fils de 14 ans a reçu une gifle d’une telle violence qu’il en perd partiellement l’audition. À cette époque, François Bayrou est ministre de l'Éducation nationale (1993-1997), et plusieurs de ses enfants sont scolarisés à Bétharram, où son épouse enseigne le catéchisme.
La presse locale et nationale s'empare de l'affaire, et un inspecteur de l’Éducation nationale est envoyé sur place. Trois jours plus tard, son rapport tranche sans ambiguïté : « Notre-Dame de Bétharram n’est pas un établissement où les élèves sont brutalisés. ».
François Bayrou prend la défense de l’établissement, dénonçant une cabale médiatique injustifiée contre un pensionnat d’excellence. Il est donc incontestable qu'il était au courant des allégations de violences physiques à ce moment-là. Cette prise de position, jugée anodine à l’époque, prend aujourd’hui une tout autre dimension.
Une nouvelle révélation, issue d'une enquête de Ici Béarn Bigorre et de la Cellule investigation de Radio France, vient fragiliser encore davantage la crédibilité du compte rendu de 96. « J'ai fait un rapport qui ne tient pas la route actuellement. », révèle Camille, l'inspecteur d'académie aujourd'hui âgé de 88 ans. Un constat amer de la part de l'homme qui, après sa visite à Notre-Dame-de-Bétharram le 12 avril 1996, avait rédigé un rapport innocentant totalement l’établissement.
« Les gens que j’ai rencontrés m’ont dit ce qui s’était passé pour cette histoire de gifle, mais ils ne m’ont pas dit autre chose que ça, explique Camille. Et donc je n’ai pas cherché à savoir ce qui se passait dans les dortoirs ou dans des lieux de rencontre des élèves. Je suis reparti de l’établissement en ignorant totalement ce qui est actuellement reproché. »
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Affaire de 1998 : le père Carricart
Deux ans plus tard, en 1998, le père Pierre Silviet-Carricart, ancien directeur de l'établissement, est mis en examen et écroué pour viol sur un élève de 10 ans. L'affaire est à nouveau médiatisée, y compris dans la presse nationale.
Le gendarme Alain Hontangs, en charge de l’enquête à l’époque, a récemment révélé que François Bayrou serait intervenu auprès du procureur général de Pau pour demander à consulter le dossier. Cette révélation, faite dans l’émission Sept à Huit sur TF1, jette une ombre sur le Premier ministre. Interrogé, Bayrou dément avec force. Accusation obscène, répond-il. Je ne connaissais pas ce procureur général, insiste-t-il.
L’enquête devait suivre son cours, mais elle est retardée. Le juge d’instruction Christian Mirande confie aujourd’hui n’avoir jamais compris pourquoi la procédure avait été bloquée à ce moment-là. Ce qu’il sait en revanche, c’est que deux semaines après son incarcération, le père Carricart est libéré sous caution par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau.
Une décision surprenante, qui prend une tournure encore plus dramatique deux ans plus tard lorsque Carricart, accusé par d’autres victimes, se suicide à Rome, échappant ainsi à tout jugement terrestre. De plus, la propre épouse de François Bayrou se rend aux obsèques du prêtre en 2000.
Les faits sont graves, les accusations lourdes. François Bayrou a-t-il cherché à protéger l’établissement et ses dirigeants ? A-t-il usé de son influence pour ralentir l’enquête ? La question se pose, mais elle en soulève une autre. François Bayrou savait-il ? Ou savait-il seulement ce que beaucoup d’autres savaient déjà ?
Déclaration de François Bayrou
Le 11 février 2025, devant l'Assemblée nationale, François Bayrou déclare n'avoir « jamais été informé » des violences à Notre-Dame de Bétharram. Il se défend :
« Vous pensez bien que si j’avais su cela, je n’y aurais pas mis quatre de mes enfants et ma femme n’y aurait pas enseigné le catéchisme ».
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Cette affirmation serait contredite par des documents publiés par Mediapart, notamment un courrier de 1998 adressé à Bayrou, alors ministre de l'Éducation nationale, détaillant des abus sexuels subis par une ancienne élève, avec un accusé de réception signé par son cabinet.
Les révélations de 2023-2024 : Un collectif de victimes émerge
À la fin de l'année 2023, un collectif de victimes de l'établissement se constitue sur Facebook, rassemblant environ 1 500 membres. Au cours de l'année 2024, des dizaines de plaintes sont déposées, portant le nombre total à 114 — selon la presse — pour des violences physiques et sexuelles subies par les élèves entre les années 1960 et 2011. Alerté par ce mouvement, le parquet de Pau ouvre une enquête, bien que certaines affaires soient prescrites.
Un gouvernement socialiste étrangement discret
Et c’est là que les choses deviennent troublantes. Un document révélé par BFMTV le 18 février 2025, change totalement la donne. Il s’agit d’un courrier du procureur général de Pau adressé à la ministre de la Justice de l’époque, Élisabeth Guigou. Daté de 1998, il informe la garde des Sceaux de l’arrestation du père Carricart et de l’émotion suscitée par l’affaire.
« C’est la raison pour laquelle il m’a semblé utile de signaler cette affaire à votre attention. Je vous tiendrai informée de son évolution. »
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C’est donc un fait établi. L’affaire Bétharram était connue du gouvernement socialiste de Lionel Jospin dès 1998, et suivi de près par les plus hautes instances de l’État.
Dès lors, une question s’impose : qu’a fait Élisabeth Guigou de cette information ?
La question mérite d’être posée. Car si François Bayrou a effectivement su et n’a rien fait, alors il n’a pas été le seul. Le gouvernement disposait d’informations. Il avait connaissance des faits et n’a, semble-t-il, pris aucune mesure pour y remédier.
LFI, défenseur des victimes ou opportunisme politique ?
Dans une société où la justice primerait sur toute considération, l’affaire Bétharram aurait été l’occasion de questionner toutes les responsabilités, d’interroger tous les silences, et surtout de remettre les victimes au centre du débat. Mais les priorités sont parfois bien différentes.
C’est ici que la récupération politique prend tout son sens. La France insoumise a trouvé en cette affaire un levier idéal pour attaquer François Bayrou et fragiliser le gouvernement. Paul Vannier, député LFI, multiplie les interventions, affirmant que le Premier ministre devrait démissionner immédiatement.
Les attaques pleuvent, sans qu’à aucun moment le rôle du gouvernement de 1998 ne soit questionné. L’indignation est une mécanique étrange.
Pourquoi La France Insoumise n’exige-t-elle pas des explications de la part d’Élisabeth Guigou, de Ségolène Royal, de Jean-Luc Mélenchon — ministre délégué à la formation professionnelle sous Lionel Jospin —, tous en poste au moment des faits ? Et qu’en est-il de Claude Allègre, qui occupait alors le poste de ministre de l’Éducation nationale en 1998 et dont les décisions de l’époque mériteraient d’être scrutées, bien qu’il ne soit plus là pour en répondre ?
Bétharram abritait une section d’enseignement professionnel, des plaintes avaient déjà été déposées. Bayrou aurait su, mais Mélenchon, pourtant en charge de ce domaine, n’aurait rien vu, rien entendu ?
Si la volonté de LFI était réellement de défendre les victimes, pourquoi n’ont-ils pas dénoncé plus tôt l’inaction de ceux qui savaient ? Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ne s’y est pas trompé :
« D’ailleurs, le fait que La France insoumise l’utilise politiquement et en profite pour demander la censure du gouvernement montre bien qu’elle se fiche de la violence faite aux enfants et fait de la politique sur tout. C’est déplorable. »
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Les victimes, les grandes oubliées de la tempête politique
Les victimes, elles, restent les grandes oubliées de cette affaire. Alors que les projecteurs se braquent sur Bayrou, leur douleur est reléguée au second plan. La vérité, pourtant, est essentielle. Cette terrible histoire ne doit pas être une simple guerre politicienne. Elle doit être l’occasion d’un examen de conscience collectif sur les silences qui ont permis à ces crimes d’avoir lieu.
La véritable question est donc : pourquoi cet acharnement soudain, alors que pendant vingt-cinq ans, pas une voix n’a dénoncé ces silences ?
François Bayrou a-t-il des comptes à rendre ? Évidemment. Mais pas seul. Car Bétharram n’est pas seulement un scandale qui touche un homme, c’est une faillite collective. Et si la justice doit faire son travail, peut-être serait-il temps que la classe politique fasse le sien.
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