Société
Claude Chollet : « le libéralisme n’est pas une garantie de pluralisme. »
Claude Chollet, président de l’Ojim, a répondu à nos questions au sujet de la situation dans laquelle se trouve la liberté d’expression en France. Entretien.
Pouvez-vous nous présenter l’Observatoire du journalisme ?
La mission de l’Observatoire du journalisme (Ojim), créé en 2012, est de « vous informer sur ceux qui vous informent. » L’information n’est pas un produit brut, c’est un produit transformé par des artisans (qui sont parfois des artistes, dans le bon comme dans le mauvais sens), les journalistes. Il est impossible de rendre compte de la totalité du réel, le journaliste doit donc sélectionner, hiérarchiser, mettre en scène.
Dans ce domaine l’objectivité n’existe pas, les journalistes comme tout un chacun ont une histoire, une culture, des convictions, ils ne peuvent être « objectifs » comme le serait une caméra ou un robot, ce qu’on doit leur demander c’est l’honnêteté et là il y a du travail, beaucoup de travail. A cet égard, le prisme libéral libertaire (des Echos à Libération en passant par toutes les nuances, sur TF1 comme sur France télévisions) domine le monde du journalisme. Partial et partiel, il rend de moins en moins compte du réel, il occulte, il censure, il trompe à des degrés divers, pas toujours à 100% (ce serait trop visible) mais de manière constante. Il recrée un réel à son prisme idéologique.
Les équipes de l’Ojim, une quinzaine de personnes dont quelques bénévoles (la plupart de nos rédacteurs sont rémunérés), pratiquent « l’effet vampire ». Pour faire disparaître le vampire libéral libertaire il suffit de l’exposer à la lumière, de révéler ses partis-pris, ses omissions, ses inversions de sens, ses censures cachées ou assumées. Ce que nous faisons avec nos cinq mille articles publiés en douze ans, plus de trois cents portraits de journalistes, plus de trente infographies sur les groupes de médias (qui possède, qui dirige, qui produit), une quinzaine de brochures numériques ou papier, et chaque jour deux articles sur le monde des médias et des réseaux sociaux, les censures nouvelles ou anciennes, les menaces sur la liberté d’expression et la liberté d’opinion.
Avec un regard nuancé mais incisif, nous regardons derrière le rideau, que cela plaise ou non. Nous avons gagné un premier procès, nous sommes en attente pour le second. Nous avons chaque mois environ cent mille visiteurs uniques, une majorité venant des médias, de l’université ou du monde intellectuel. Nous sommes financés par nos lecteurs, nos donateurs reçoivent en exclusivité nos brochures qui leur sont réservées. Les autres articles sont gratuits et peuvent être repris sous réserve de mention d’origine.
Après coup, de quoi la crise au JDD est-elle réellement le nom ?
Cette pseudo crise est une simple crise de nerfs. La majorité de la rédaction du JDD – comme nombre de ses confrères – vit en vase clos idéologique. Sur les grands sujets, immigration, insécurité, islamisme ils sont quasi tous d’accord. L’immigration extra européenne est une chance pour la France et pour l’Europe, l’insécurité n’est qu’un sentiment sans réalité, l’islam et même l’islamisme dans une certaine mesure nous enrichissent culturellement etc. La simple idée que d’autres idées puissent s’exprimer non pas, à la place de leurs présupposés mais simplement à côté – ce qui s’appelle le pluralisme et le débat – les rend malades.
Finis les débats où tout le monde est d’accord, fini de tourner en rond autour de son nombril, il va falloir parler du réel, d’où leur terreur devant cette nouvelle donne somme toute conforme à la déontologie du métier. La comédie de la grève n’était qu’un mauvais théâtre corporatiste pour mendier de grasses indemnités, obtenues in fine. Guy Debord y aurait vu une expression de la société du spectacle qui se drape dans la moraline mais garde l’œil sur le monopole des dividendes (privés) et des subventions (publiques). Un seul mot pour résumer : pouah !
Rima Abdul-Malak, ministre de la culture, avait déclenché une onde de choc dans la sphère médiatique en menaçant CNews et C8 concernant le renouvellement des fréquences. Pouvons-nous qualifier cette sortie, après coup, de crise de l’Etat de droit ?
Je ne suis pas qualifié pour juger si cette sortie manifeste une crise de l’Etat de droit. Par contre il est facile de voir une manœuvre politique d’envergure derrière ces déclarations qui vont dans le même sens que celles d’Aymeric Caron. Xavier Niel, actionnaire partiel ou propriétaire du Monde, l’Obs, Télérama, Nice matin, France Antilles etc, s’était manifesté pour la reprise de la fréquence de M6 en 2023. Insuffisamment préparé, il a échoué et M6 a gardé sa fréquence. Mais son véritable objectif c’est 2025 où les fréquences de Vivendi, C8 et CNews, sont à renouveler. 2025 + 2 = 2027, l’année de l’élection présidentielle ; Xavier Niel (et son beau-père Bernard Arnault, LVMH, Les Echos, Le Parisien) savent compter. Les successeurs d’Emmanuel Macron sur la même ligne aussi. Les grandes manœuvres ont commencé et tous les coups sont permis pour affaiblir Bolloré qui joue moins le jeu libéral libertaire que les autres.
Qu’est-ce que le DSA (Digital Service Act) ? Quels en sont les effets sur la liberté des médias au sein de L’U.E ?
En décembre 2020, la Commission européenne a présenté le « Digital Services Act », visant officiellement à moderniser la régulation d’Internet. Le premier règlement se concentre sur l’encadrement des plateformes et des réseaux sociaux, « pour mieux lutter contre la haine en ligne et la désinformation ». L’Union européenne ne veut pas toucher au statut d’hébergeur de ces plateformes : elle mise sur des obligations de « transparence des algorithmes » et de « coopération avec les régulateurs ».
Dans la lignée du RGPD, ce nouveau règlement vise en théorie à s’attaquer aux défis posés par les géants d’Internet, à commencer par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Mocrosoft). Serait visée leur domination sur des pans entiers de l’économie numérique et, de là, sur l’économie tout court. Mais l’autre objectif (plus concret) est de lutter « contre la haine » et de censurer les réseaux sociaux.
L’occasion faisant le larron, l’UE trouve l’opportunité de limiter l’expression de qui pense autrement que la doxa bruxelloise, en particulier dans le domaine de ce que l’UE appelle la « désinformation », autrement dit la simple information ou expression d’opinions libres. Il en va de même au sujet de la « haine en ligne » puisque la nature de cette « haine » correspond exclusivement aux définitions de l’idéologie dominante.
Les plateformes devraient se voir imposer le « devoir de coopérer » pour retirer les contenus signalés comme haineux. Selon le commissaire européen au marché intérieur, très actif dans le cadre de la mise en œuvre du Digital Services Act, du fait de son second volet, le Digital Market Act, ce qui montre combien les deux aspects sont liés dans l’esprit des membres de la Commission européenne, je cite : « dans bien des cas, l’espace numérique est une zone de non-droit. Il s’agit pour l’Europe de reprendre la main sur les plateformes structurantes. Le fil conducteur du DSA est simple : ce qui est autorisé offline doit l’être online, ce qui est interdit offline doit l’être online… Les contenus haineux, l’amplification de la violence verbale et physique, la désinformation doivent être identifiés comme tels et traités en conséquence. Tout ce qui est interdit dans l’espace public sera aussi interdit dans l’espace online. »
Les plateformes numériques, notamment Twitter, Facebook et Google auraient une obligation de « transparence » concernant la façon dont les algorithmes imposent des contenus en général.
Le prétexte de l’assassinat du professeur Samuel Paty est mis en avant afin de démontrer la nécessité de « lutter contre la haine en ligne ». Ce qui est louable, pour peu que la nature de cette haine soit clairement nommée et que la loi n’autorise pas à lutter contre des modes de pensée non haineux. Ce dont il est possible de douter au regard des mésaventures de Renaud Camus, par exemple, quand Amazon tente d’empêcher la vente de ses livres. Pour l’anecdote, une partie des sommes recueillies par le fond Marianne créé en France après l’assassinat de Samuel Paty par le ministre Marlène Schiappa, se sont retrouvées sur les comptes d’associations pro Macron ou compagnons de route comme Conspiracy Watch de Rudy Reichsdadt.
Nous pouvons aisément nous rendre compte de l’épée de Damoclès du droit et du politique qui se trouve au-dessus de la tête de beaucoup de médias mais, surtout, au-dessus de celle de Vincent Bolloré. D’où vient cet acharnement certain à l’encontre de sa personne ?
Il y a une conjonction d’intérêts entre une majorité des grandes entreprises (celles qui financent la gay pride comme Orange, L’Oréal, Sanofi etc), le monde médiatique libéral libertaire, une bonne partie du monde universitaire gagné par le wokisme, les antifas complices et idiots utiles du système et le personnel politique au pouvoir. En désaccord théorique sur de nombreux sujets, ils sont au moins en accord très pratique sur un mantra toujours respecté : le point de vue conservateur – ou souverainiste ou populiste comme vous voudrez en tout cas non progressiste – ne doit pas pouvoir s’exprimer. Comme le dit François Bousquet dans la revue Eléments, ils veulent conserver le monopole de la parole légitime. Croyant incarner le camp du Bien avec un B majuscule, ils considèrent que celui qui s’écarte de la doxa incarne le camp du Mal. Dans cette perspective, Bolloré, plus conservateur que les autres, est un diable qui vient troubler le jeu et avec des moyens certains.
D’où les réactions hystériques autour du JDD et les grandes manœuvres autour des fréquences de C8 et CNews. Le lancement d’un concurrent du JDD par l’armateur (CMA-CGM) Rodolphe Saadé va dans le même sens. Saadé et Xavier Niel peuvent être parfois rivaux, ils se sont disputés le quotidien marseillais La Provence, mais ils sont d’accord sur l’essentiel, tout changer pour que rien ne change. Mettre un Macron bis ou son ersatz en place en 2027 et continuer gentiment dans un sens mondialiste qui offre de bonnes perspectives de dividendes. Des dividendes mais aussi un réel confort matériel et moral pour ceux qui ont assez de moyens pour échapper à ce que subit le bon peuple, soumis au quotidien aux conséquences de l’immigration de peuplement. La lutte des classes revisitée et mise au goût du jour.
Le devoir du “pluralisme idéologique et politique des intervenants” s’applique-t-il tout autant aux médias privés qu’au service public ? Avez-vous des chiffres ou des rapports à nous partager ?
Globalement il n’y a pas de différence entre secteur public et secteur privé sur ce point, on voit à quel point une once de plus de pluralisme déclenche les pleurs des dames patronnesses progressistes. Il est difficile de quantifier au trébuchet, mais il y a des indicateurs.
A l’AFP des élections syndicales ont eu lieu en 2022, nous y avons consacré un article début 2023. Résultat, les trois listes de gauche et d’extrême gauche (Syndicat National des Journalistes le SNJ, CGT et SUD) obtiennent plus de 80% des suffrages dans tous les collèges y compris les journalistes. Nous sommes en train de publier une enquête sur les 14 écoles de journalisme reconnues par l’Etat ; peu d’espoir de ce côté-là, les professeurs oscillent entre la gauche et l’extrême gauche ou un centre mou progressiste, les élèves sont formatés dans le même sens.
Pour obtenir un peu de pluralisme il faudra à la fois une volonté politique, des moyens, lever le carcan libéral libertaire qui pèse sur les journalistes honnêtes en place (il y en a) et engager de jeunes plumes allègres et sans œillères, sans oublier le financement, nous y reviendrons.
La situation française concernant l’ambiguïté du pluralisme médiatique et de nos dirigeants est-il un cas à part ? Est-ce que les démocraties dites illibérales au sein de l’U.E ont-elles le même rapport à la presse que l’a nos dirigeants ?
La situation française n’est pas une exception à l’ouest : la situation est presque la même chez nos voisins. Un peu moins mauvaise en Italie, franchement pire en Allemagne ou en Belgique francophone. La BBC anglaise est une caricature libérale libertaire. Paradoxalement les seuls pays où le pluralisme idéologique existe ce sont les démocraties dites illibérales, la Hongrie et la Pologne entre autres. Nous y avons consacré plusieurs dossiers.
Dans ces deux pays la majorité conservatrice et l’opposition libérale libertaire sont en pratique à égalité dans les médias. Les médias privés parfois financés par les américains, les allemands et partiellement par les réseaux Soros sont majoritairement progressistes, mais les gouvernements en place bénéficient du soutien des médias publics et ont parfois financé des médias privés qui viennent contrebalancer l’influence libérale libertaire. Le libéralisme n’est pas une garantie de pluralisme, bien au contraire.
Quels sont les principaux dangers pesant sur la liberté de la presse française selon vos analyses ?
Ce ne sont pas des dangers futurs, ce sont des réalités immédiates et concrètes. Les lois dites anti-racistes et mémorielles (Pleven, Gayssot, Taubira etc) ont été votées par la droite ou la gauche et renforcées par la gauche et la droite. C’est Nicolas Sarkozy qui a créé la Dilcrah, la néfaste Délégation interministérielle contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti LGBT dont le rôle essentiel est de pousser à la censure. Les réseaux sociaux ont permis de souffler pendant dix ans, en gros entre 2006 et 2016. Depuis cette année un peu spéciale (élection de Trump, Brexit, montée de Salvini en Italie), les pseudo fact checkers, type Desintox du Monde ou Conspiracy Watch de Rudy Reichstadt sont là pour cacher le réel, créer des filtres et justifier les censures.
Sans compter le journalisme de délation contre les mouvements où contre les personnes, spécialités de Check-news de Libération et de Mediapart. Je ne parle pas des Sleeping giants venus des Etats-Unis qui veulent taper au portefeuille tout média conservateur. Mais le pire c’est le consensus mou qui va du Figaro (ne pas oublier que le syndicat des journalistes du quotidien a demandé l’éviction d’Eric Zemmour alors qu’il était simple journaliste et non candidat) à France 2 en passant par la presse quotidienne régionale et L’Express ou le Point. Chacun surveille chacun, engendrant la pire des censures, la plus silencieuse, l’autocensure.
Pour renverser la table et mettre fin à ce système oligarchique et de monopole idéologique, nous proposons une solution simple et radicale. Supprimer les subventions aux médias qui ne profitent qu’aux plus riches et rétablir la redevance audiovisuelle mais en permettant à chaque foyer d’attribuer le montant de cette redevance au média de son choix. De toutes façons, vous payez à travers l’impôt, car l’ancien produit de la redevance a été pris sur les recettes de la TVA. Donc, vous payerez 135€ comme avant mais vous pourrez les donner à qui vous semble bon, à TF1 ou à Livre Noir, au Monde ou à l’Ojim, à Mediapart ou à Eléments etc.
En l’absence de choix exprimé, cet argent irait au service public. Cela assurerait l’indépendance des médias qui conserveraient les revenus de leur diffusion et de la publicité, et on verrait fleurir un peu plus de pluralisme en France. Si Livre noir peut faire suivre cette proposition au monde politique, merci d’avance !
Claude Chollet Président Observatoire du journalisme (Ojim)
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