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[Tribune] Roumanie : du mirage de la désinformation russe à la réalité de la manipulation de la démocratie
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L’étude des documents déclassifiés par les agences de renseignement roumaines pour justifier l’annulation de l’élection présidentielle ne démontre pas que l’ingérence russe a été suffisante pour influencer significativement les résultats. Nous sommes donc bien confrontés à une nouvelle illustration d’une dérive anti-démocratique inquiétante où des juges se permettent d’éliminer des candidats aux élections, surtout lorsqu’ils appartiennent à une force dissidente qui remet en cause le système.
L’élection présidentielle roumaine de 2024 a vu émerger un candidat inattendu, Călin Georgescu, bénéficiant d'une popularité spectaculaire sur les réseaux sociaux. Pourtant, alors que le second tour était prévu pour le 8 décembre, la Cour constitutionnelle a décidé de son annulation, invoquant une « ingérence numérique russe ». La Cour constitutionnelle s'est appuyée sur plusieurs documents des services de renseignement. Une analyse attentive révèle néanmoins que ces documents souffrent d'importantes lacunes. Par rapport aux standards du renseignement occidentale, ces documents ne possèdent ni crédibilité, ni éthique professionnelle. Ce sont au mieux des notes informelles, au pire des documents fabriqués après coup pour légitimer la décision d'annulation. Ces rapports échouent à démontrer que l’élection roumaine a effectivement été « volée » par une ingérence russe. En effet, les trois éléments du « syllogisme de l’ingérence électorale » ne sont pas démontrés : les rapports ne permettent pas d'identifier une campagne d'influence unique, ni de l'attribuer précisément, ni d'en mesurer les effets. Le renseignement roumain parvient seulement à démontrer que les soutiens de Georgescu ont été plus habiles que les autres candidats dans leur utilisation les réseaux sociaux.
Vers une démocratie dirigée et fragilisée ?
Qu'une décision aussi grave ait pu être prise sur des fondements aussi faibles laisse pantois et amène à se poser des questions sur une opération qui semble avoir été maladroitement fabriquée sous la pression de la panique politique. Quand on connait la Roumanie, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’un prétexte exploité par des forces mafieuses pour éliminer un candidat dangereux car étranger à un système politique qui contrôle le pays en cherchant à obtenir la bienveillance de l’Union européenne pour mieux poursuivre ses schémas de corruption.
Nous sommes donc passés de la manipulation de l’information à la manipulation de la démocratie, ce qui est autrement plus grave. Annuler une élection est-il au moins un moyen efficace de résister à l’influence étrangère et à la subversion politique ? Non seulement l’annulation du scrutin roumain n’a pas protégé la démocratie contre la polarisation - la popularité du candidat Călin Georgescu atteint désormais des sommets - mais elle a aussi créé une opportunité idéale pour amplifier l’influence des ingérences russes qui ont beau jeu de dénoncer la fausse démocratie roumaine et européenne.
Les élections françaises, prochaines victimes du néo-maccarthysme ?
Face au fantasme et à la prophétie auto-réalisatrice de l'omnipotente influence russe, la France pourrait-elle demain user de ce prétexte pour annuler l’élection d'un candidat opposé à l’idéologie et aux intérêts de la classe politique en place ? La question se pose car, malgré les angles morts du raisonnement de la Cour constitutionnelle roumaine, la France a non seulement laissé passer cette décision scandaleuse, mais elle l'a aussi soutenue, laissant penser qu’elle est d’ores et déjà mûre pour la censure. L’inéligibilité immédiate infligée à Marine Le Pen illustre bien que notre culture démocratique ne suffit pas à résister à la tentation d’éliminer un opposant politique, si la loi offre les moyens juridiques de le faire. Cette dérive est dangereuse. Une démocratie qui écarte ses opposants et ses dissidents ne risque-t-elle pas de conduire à la remise en cause des institutions démocratiques ?
Face aux manipulations de l’information sur les réseaux sociaux, plutôt que de chambouler le fonctionnement démocratique, il convient que tous les acteurs du débat public se dotent des moyens d’identifier ces campagnes pour mieux les dénoncer devant l’opinion. Les Français pourront ainsi s’éduquer à ces nouvelles approches, comme ils l’ont fait dans le passé après l’irruption de chaque nouveau vecteur de communication susceptible de devenir un outil de propagande. Aucune autre approche que l’éducation et la liberté de s’exprimer, et de se présenter aux élections, ne peut durablement réussir dans une démocratie digne de ce nom.
Auteurs : Arnaud Dassier et Mat Hauser

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