Société
Bertrand de la Chesnais : « mettre en lumière l’Histoire du Comtat Venaissin. »
Ancien général de corps d’armée, Bertrand de la Chesnais est désormais revenu à son mandat de conseiller municipal de Carpentras. Il est à l’origine des Nuits Comtadines, projet culturel local ayant vocation à mettre en avant le terroir du Comtat Venaissin. Interview.
Vous êtes à l’origine du projet « Les Nuits Comtadines » à Carpentras, dans le Vaucluse, afin de reconnecter les habitants du Comtat Venaissin à leur histoire. Devons-nous y voir un projet politique de réappropriation culturelle ?
Un projet de réappropriation culturelle, certainement. Est-ce un projet politique ? Je ne sais pas. Si l’on considère que tout ce qui concerne la vie de la Cité est politique, alors oui, “Les Nuits Comtadines” sont un projet politique car il possède plusieurs dimensions : sociale, éducative et culturelle, à travers le récit historique qui est fait aux spectateurs.
Je suis de plus en plus persuadé que l’absence de racines, le manque de repères ou de références à une identité commune est la principale cause du délitement de notre société, du sentiment de cohésion nationale et de l’unité entre les générations. Des exemples de régions à fortes identités (comme la Corse ou le Pays Basque) et certains pays européens qui souhaitent protéger leur système de valeurs (comme les pays du Nord), renforcent leur cohésion en valorisant leur passé, ce qui les unit et permet aux arrivants de s’intégrer à condition d’adhérer à ces particularismes locaux.
Le projet de spectacle vivant Les Nuits Comtadines a pour ambition de raconter l’histoire du Comtat Venaissin, cette terre si originale de Provence, à l’Est d’Avignon et au pied du Mont Ventoux. Des premiers hommes, on trouve les traces dans cette région. Puis la conquête romaine, très présente ici, a dessiné les paysages qui la rendent si proche de l’Italie voisine. Cette influence s’est encore accrue durant les cinq siècles de rattachement du Comtat Venaissin à la papauté, jusqu’à la Révolution qui voit notre pays se déchirer par la violence et les affrontements idéologiques. Puis, cette contrée redevient une terre de prédilection et d’abondance agricole chantée par les nombreux artistes et écrivains provençaux du XIXème siècle. Cela est dû à sa richesse en eau qui en a fait le « jardin de Provence » si réputé que nous apprécions. Enfin, le Comtat Venaissin devient le pays du vélo avec l’ascension du Géant de Provence bien connu de tous les cyclistes.
Je ne connais pas dans notre région de spectacle qui raconte la formidable histoire du Comtat Venaissin dans son ensemble et qui fasse vibrer le cœur de ses habitants et des nombreux touristes qui le visitent. Le Comtat Venaissin, dans son appellation historique, est d’ailleurs presque totalement inconnu sauf par quelques férus d’histoire. La culture se réduit malheureusement bien souvent à des animations de rues, assez pauvres du point de vue culturel et historique. Il y a quelques spectacles ponctuels qui évoquent tel ou tel événement dans les villages ou sur un lieu privé qui permettent d’entretenir un peu la mémoire, mais cela reste partiel. Il subsiste un peu partout des associations ou académies locales qui tentent d’entretenir la flamme de la mémoire.
Le combat culturel devrait pourtant être celui regroupant le plus possible nos forces. Préparer l’avenir à travers l’enseignement du passé et relier les générations entre elles en rassemblant tous les habitants autour d’une histoire commune. C’est l’ambition de l’association Montjoie Comtadine présidée par madame Marie-Pierre du Crest et qui rassemble depuis trois ans bénévoles, soutiens et donateurs de plus en plus nombreux engagés dans les travaux historiques, de confection de costumes, de préparation de la mise en scène ou encore d’organisation logistique. Nous préparons une première saison en juillet 2024 appelée à se renouveler tous les ans et à devenir un rendez-vous incontournable, tant pour les Comtadins que pour les visiteurs de Provence.
Quelles sont les caractéristiques qui rendent ce spectacle original et qui en font une œuvre culturelle ?
En réalité, l’ambition des Nuits Comtadines est triple : culturelle, sociale et régionale.
L’objet premier du spectacle est de faire revivre et connaître l’histoire du Comtat Venaissin.Ce morceau de terre de Provence, comme je le disais, a une histoire originale du fait de son rattachement durant cinq siècles à la papauté de Rome. Plusieurs grandes figures, qui méritent d’être mieux connues, ont servi aussi bien la France par les armes que le Vatican au sein de l’Eglise.
Les Nuits Comtadines sont donc une œuvre didactique, tant par le format du spectacle vivant que par la narration historique. Le spectacle est d’ailleurs placé sous le parrainage de Franck Ferrand. Nos équipes travaillent en lien avec les académies locales d’histoire et de recherches archéologiques dont certains experts participent à nos travaux au sein d’un atelier chargé de fournir au scénariste la documentation nécessaire.
L’intérêt de ce type de spectacle, sur le plan culturel, est d’être beaucoup plus qu’un simple livre d’histoire car celle-ci ressuscite, à quelques pas du spectateur, incarnée par des figurants et racontée à la manière d’un conte. Par ailleurs, il permet d’évoquer les événements historiques remarquables, les personnages qui les ont faits ou vécus, les progrès techniques issus de cette région ainsi que les œuvres artistiques (peinture, musique, littérature, architecture) qui ont fait rayonner dans le monde cette belle région.
Mais ce spectacle a d’autres dimensions qui en font une œuvre insolite, et rend l’histoire concrète et utile à notre Cité.
Les Nuits Comtadines : en quoi un tel spectacle peut-il avoir un rôle à jouer sur le plan social ?
Les Nuits Comtadines, c’est un spectacle de mise en lumière de l’Histoire du Comtat Venaissin porté par les hommes et les femmes d’aujourd’hui qui en sont les chainons vivants.
La dimension humaine et sociale est inscrite au cœur de cette aventure associative au service de notre région. L’association Montjoie Comtadine qui porte ce projet souhaite, au travers du spectacle historique, intégrer des personnes de tous horizons, leur apporter la dimension culturelle liée au spectacle, mais aussi leur apporter une formation ou un cadre propice à l’insertion pour ceux d’entre eux qui n’ont plus d’emploi ou ont des difficultés à se présenter sur le marché de l’emploi faute de diplôme ou d’accès aux services concernés.
Le spectacle fera appel à plus d’une centaine de figurants, tous bénévoles qui connaîtront inévitablement un fort renouvellement chaque année. Chaque figurant participera à quatre ou cinq scènes et aura plusieurs rôles, du cavalier au forgeron, en passant par la danseuse et l’ecclésiastique de toutes les époques. Certains exigeront des savoir-faire. Tous les rôles exigeront de la ponctualité, de la précision, de la disponibilité et le sens du collectif. Les figurants seront recrutés à partir du mois d’octobre, en faisant un effort particulier sur la recherche de personnes éloignées de ce type de spectacle.
Pour cela, nous nous appuierons sur des associations d’aide aux personnes pauvres, en difficulté ou dans la rue. Une ouverture sera aussi effectuée vers les personnes en situation de handicap qui pourront trouver un rôle tenant compte de leur difficulté. Les écoles feront aussi partie des cibles privilégiées. Intégrés durant plusieurs mois dans une équipe encadrée par un professionnel du spectacle, les figurants seront formés et vivront une aventure collective, enthousiasmante et exigeante, dont ils seront fiers. Cela leur donnera envie, j’espère, de s’engager et de poursuivre en lien avec tous les acteurs économiques embarqués dans ce projet.
Cette organisation s’inscrit par ailleurs dans un réseau de partenaires multiples et essentiels à la réalisation du spectacle, à l’insertion des personnes en recherche d’emploi et au financement de l’opération : associations de spectacle, associations tournées vers l’insertion, entreprises partenaires et locales.
Les Nuits Comtadines ont ainsi pour ambition de tisser des liens sociaux à travers une réalisation artistique de qualité qui permettra à chacun de vivre une aventure en lien avec le passé du Comtat Venaissin, terre de Provence d’exception.
Vous insistez sur le localisme, est-ce par nécessité ou par idéologie ?
Ce spectacle a un fort ancrage local, d’une part parce qu’il raconte l’histoire d’une parcelle de Provence bien délimitée géographiquement entre Avignon et le Mont Ventoux, et d’autre part parce qu’il mettra en valeur non seulement les événements et les personnages de cette région mais aussi les villes et villages qui font la beauté et la richesse du Comtat Venaissin, avec chacun son originalité. Il s’agit de rendre les habitants comme les visiteurs fiers de de leur région à travers ce spectacle qui mettra en valeur leur identité. Ce sera aussi le moyen de rassembler autour d’une histoire commune les anciens comme les nouveaux habitants de cette région.
Associer les entreprises locales et les nombreuses associations qui participent à la vie locale participera enfin du lien social autour d’un projet commun.
Vous l’avez compris, toutes ces dimensions, historique, sociale et locale, ont un seul but : rendre solidaire les habitants de cette région autour d’un projet qui les rende fiers et leur permette d’appréhender l’avenir avec espérance.
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