Société
Charles de Meyer : « Ceux qui aiment le Christ savent qu’ils continueront à souffrir pour son Nom. »
Charles de Meyer, président de l’association SOS Chrétiens d’Orient, a répondu à nos questions au sujet des persécutions subies par la communauté chrétienne dans le monde.
La banalisation de la souffrance chrétienne résulte-t-elle d’une soi-disant revanche qu’un camp voudrait prendre sur l’autre ?
Les communautés chrétiennes orientales présentent un défi constant aux simplifications dont notre société liquide est friande. Ils sont les témoins de la présence chrétienne au Proche Orient depuis 2000 ans et les victimes de phénomènes que beaucoup aimeraient ignorer : la montée des radicalisations islamistes, les conséquences catastrophiques des errements internationaux, comme la terrible invasion américaine de l’Iraq en 2003, et l’appel constant aux migrations.
Imaginez la force qu’il faut pour des familles chrétiennes orientales pour rester et prospérer sur la terre de leurs pères quand tout conspire à les en extirper.
Les communautés chrétiennes orientales ne sont évidemment pas les seules à mesurer l’adversité : en Asie, comme en Birmanie ou au Vietnam, sans parler de l’édifiante Église du silence, en Afrique où les persécutions sont légions, comme au Burkina Faso, récemment en Ouganda, au Nigéria, et dans tant d’autres pays. Les catholiques payent également un lourd tribut en Amérique du Sud.
Finalement, le christianisme connait toujours les mêmes bourreaux : les islamistes, les épigones des totalitarismes, les mafieux. En cela, ils portent un témoignage qui fait la communion de toute l’Église au présent, comme au passé.
Ceux qui aiment le Christ savent qu’ils continueront à souffrir pour son Nom. Tous les camps qui veulent les anéantir ou les mettre au pas brandissent toujours des arguments pour relativiser leurs crimes. La déportation des prêtres insermentés pendant la Révolution française trouve encore des défenseurs de nos jours…et les héritiers de Carrier peuplent justement les rédactions et les médias qui ne sont jamais très à l’aise avec la cause des chrétiens persécutés.
On voit leur moue dubitative, soudainement scrupuleuse à l’idée de pleurer avec les misères d’une communauté. Je ne sais pas vraiment si on peut parler de revanche, je dirais plutôt qu’une partie du spectre politico-médiatique rejette par principe les engagements immémoriaux de la France comme surannés ou misérables. La génération levée avec SOS chrétiens d’Orient prouve bien qu’ils ne sont pas parvenus à étouffer notre charité.
Comment avancent les opérations de soutien que vous menez sur tous les fronts orientaux ?
Depuis la création de SOS chrétiens d’Orient, plus de 2 000 projets ont été finalisés ou sont en cours. Il m’est donc difficile de vous répondre de manière exhaustive à cette occasion. C’est d’ailleurs le moment de préciser à nos lecteurs l’importance de cette association : 3 000 volontaires partis sur le terrain, 400 000 personnes ayant bénéficié d’une aide, une communauté de près de 65 000 français qui nous financent chaque année, neuf pays de mission, sur trois continents.
On mesure parfois insuffisamment le succès institutionnel qu’est SOS chrétiens d’Orient. Des jeunes partis de rien sont parvenus à bâtir une belle œuvre, sans rien consentir à l’esprit et aux paniques du temps.
Concrètement, notre objectif est de tout faire pour permettre aux chrétiens d’Orient de vivre et prospérer sur la terre de leurs pères. Dans certains pays, comme l’Iraq, nous investissons par exemple, aux côtés de Mgr Najeeb, archevêque chaldéen de Mossoul et Aqra, pour aider aux retour des familles chrétiennes dans la ville. Cela avance mais c’est très difficile. Imaginez que les chrétiens sont maintenant moins de 300 000 dans un pays ou ils étaient plus d’un million avant l’invasion américaine de 2003.
Dans d’autres pays, l’absurdité des politiques internationales ralentissent notre action. La prolongation criminelle des sanctions qui frappent la Syrie, ou plus de 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, est un problème pour toutes les associations humanitaires malgré les dénégations gênées des responsables politiques. SOS chrétiens d’Orient fait sa part du travail, notamment pour soulager le traumatisme des victimes du tremblement de terre de février dernier. Mais que d’obstacles à cause de ces sanctions abjectes et inefficaces. De même au Liban ou nous tentons d’aider les chrétiens à travers des projets de développement économique et ou le maintien artificiel de près de deux millions de réfugiés syriens constitue un fardeau impossible à assumer pour la généreuse société libanaise. Alors nous investissons, par exemple pour soutenir la production du thym au sud de Beyrouth, ou pour soutenir des entreprises locales qui fournissent du travail aux familles victimes de la crise économique, mais nous dénonçons aussi les erreurs des gouvernements occidentaux dans la zone.
Est-ce qu’en matière de solidarité à votre cause, les dons perçus subviennent à vos besoins ?
SOS chrétiens d’Orient peut compter sur une communauté de donateurs et de volontaires extrêmement fidèles. Imaginez, en 2022, encore, près de 300 volontaires sont partis à nos côtés et 65 000 personnes ont directement aidé SOS chrétiens d’Orient financièrement. Toute cette formidable énergie nous assure une totale indépendance vis-à-vis des puissances publiques et des Pygmalions en tous genres.
Le prix de cette indépendance, c’est que nos efforts reposent sur ce que les Français, ainsi que les donateurs de nos associations belges et italiennes, consentent à sacrifier au profit des communautés chrétiennes orientales.
Tant est à faire, à la fois pour couvrir de manière toujours plus pertinente nos pays d’intervention et répondre aux appels nombreux d’autres communautés chrétiennes dans le besoin. Ainsi, pendant le mois d’août, le Pakistan, et tout spécialement la région de Faisalabad, a été le théâtre de véritables pogroms christianophobes. L’indifférence occidentale vis-à-vis de cette souffrance laisse dans l’ombre une situation révoltante. Mais nous ne pouvons agir que dans la mesure de la générosité de nos soutiens.
Un autre exemple encore. 30 % de nos fonds ont été attribués en Arménie dans l’année 2022. Cela représente un investissement considérable pour notre structure. Cet investissement n’aura néanmoins de sens que dans la durée. Et pour cela, nous sommes dans les mains de Dieu et de nos généreux amis.
Quels sont les théâtres d’opérations les plus durs pour vos volontaires ?
C’est la France, de très loin. Plongés dans une aide concrète et immédiate pendant des mois, nos volontaires épousent des souffrances mais aussi un quotidien, des coutumes, une culture et une vie communautaire. Ce don de soi est un défi, qui les décentre et les oblige à s’émanciper du confort des repères nationaux.
Mais quelle douleur quand on quitte ceux qu’on a aidés sans relâche. Quel défi de continuer à être des militants de la cause des chrétiens d’Orient quand les bassesses de presse, les cœurs gelés et jusqu’à un certain cléricalisme conspirent à gêner vos efforts.
Je n’ai que très rarement entendu des volontaires se plaindre des privations, de la chaleur écrasante des étés irakiens ou du bruit des bombes qui tombaient en Syrie. J’en connais beaucoup qui ont la plus grande peine à réinvestir leur existence en France.
Le secret est pourtant là, qui les attend : tout ce qui redresse notre pays concourt à retisser notre lien avec les chrétientés orientales.
Auprès de quelle communauté chrétienne voulez-vous intervenir en urgence ?
Nous essayons d’être aux côtés de toutes les communautés chrétiennes orientales qui souffrent. En Egypte, nous partageons le quotidien des chiffonniers du Caire et en même temps nous suivons les communautés chrétiennes qui évoluent avec l’effort faramineux de développement à l’œuvre dans le pays. L’urgence n’est évidemment pas qu’économique bien que ce soit des réalités que nous affrontons dans toutes leurs violences comme au Liban et pendant longtemps auprès des réfugiés chrétiens irakiens en Jordanie.
Nous sommes toujours aux côtés de nos frères arméniens, victimes d’une odieuse agression militaire et qui craignent de voir leur pays dépecé. Nous sommes aux côtés des chrétiens syriens pour que cette société guérisse du traumatisme de la guerre depuis 2011 et que ceux qui ont soutenu les barbaries islamistes depuis l’Europe ne demeurent pas irresponsables de leurs crimes. Il y a beaucoup à faire dans ce secteur tant on découvre les imbrications des réseaux de soutien à l’islamisme dans notre pays et en Europe, parfois jusque dans les médias ou la vie politique.
Enfin, des équipes de SOS chrétiens d’Orient se sont rendues en Ukraine en 2022 et 2023 pour apporter une assistance humanitaire, mesurée mais symbolique, aux victimes de la guerre.
Nous n’oublions aucun terrain ou notre volonté et la générosité de nos donateurs nous permettent d’intervenir. J’espère par exemple que nous pourrons aider les victimes des pogroms anti-chrétiens à Faisalabad au Pakistan.
Avez-vous la possibilité via votre centre de Goris au sud de l’Arménie, de venir en aide, directement ou indirectement, aux chrétiens du Haut-Karabakh ?
Nous faisons d’abord notre maximum pour dénoncer le blocage du corridor de Latchine. Si nous parvenons à faire parvenir quelques secours au Haut-Karabakh, nous sommes comme tout le monde victimes de cet insupportable blocus.
Nous avons par ailleurs livré un scanner dernière génération au centre cardiologique franco-arménien de Goris qui bénéficiera notamment aux déplacés du Haut-Karabakh une fois les équipes du centre formées à son utilisation.
Si le sort des chrétiens d’Orient et même de France, veux-je ajouter, n’intéresse pas une partie de la classe politique et médiatique se revendiquant d’un humanisme sans frontières, quel message voulez-vous lui adresser ?
Je serais moins négatif que vous sur la question de l’intérêt porté aux chrétiens d’Orient par les acteurs politiques et médiatiques dans notre pays. Il y a quelque chose de souterrain qui a traversé l’histoire de France et qui continue à animer de nombreux acteurs politiques.
On a vu des actions françaises, assez transpartisanes, en Iraq, au Liban et même en Arménie. Quand les sujets sont brûlants, comme en Syrie, la couardise est, il est vrai, davantage de mise, quoiqu’on a vu quelques courageux aller rencontrer les églises orientales dans le pays.
Il faut cependant qu’ils quittent l’action anecdotique pour se concentrer sur une politique de long terme à destination des communautés chrétiennes orientales.
Avez-vous pu constater, après les missions réalisées par vos volontaires, que les conditions de vie ou de survie ainsi que les rapports inter-religieux et sociaux des chrétiens auxquels vous venez en aide ont été améliorés ?
Nous le constatons tous les jours. Si par une amélioration on entend une solution complète à des biographies ravagées par les malheurs de la guerre et des persécutions, alors évidemment, nous ne pouvons pas nous prévaloir d’avoir apporté une solution définitive au calvaire de nombreuses communautés chrétiennes orientales.
Mais combien de surcroîts d’espérance, de joie, de charité grâce à nos volontaires. Combien de sourires gravés, de rencontres permises, de maisons réhabilitées, d’emplois trouvés, d’attentions offertes. Le bien, vous le savez, n’est pas estimable à sa quantité matérielle. C’est l’effet qu’il a sur une vie, c’est-à-dire, sur une âme, un cœur, qui compte. Et à ce jeu-là, nous ne savons pas quelle vibration existentielle notre aide déclenche. Mais nous savons que nos volontaires portent des fruits immenses. Ils constituent maintenant une cohorte de 3 000 militants pour la cause des chrétiens d’Orient marqués à jamais par un combat qu’ils n’abandonneront pas.
C’est le sens de ma lettre à un volontaire qui clôt mon recueil de chroniques « Pourquoi me persécutes tu ? » : ils sont le sel de SOS chrétiens d’Orient et de bien d’autres combats pour la chrétienté comme pour notre pays.
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